lundi 21 juin 2010

A la retraite les bleus !

Extraordinaire ! Cette tranche de vie de notre équipe nationale de football est extraordinaire. Des résultats catastrophiques qui s’enchaînent, des joueurs qui insultent leur sélectionneur, des joueurs virés, des joueurs en grève, des téléspectateurs pris en otage, un presse qui à l’unisson éructe, un gouvernement et un président qui considèrent cela comme “inacceptable”… Un concentré de la vie quotidienne : un agent SNCF agressé, une grève paralysante qui s’ensuit, franciliens bloqués, les journaleux dans les gares, micro trottoir des “otages” éructant. Ou encore, tel employé viré, par solidarité les collègues qui se mettent en grève et menacent de tout faire péter par l’intermédiaire du sélectionneur CGT local. Cette affaire sud africaine, dans ses développements, est vécue et traitée de la façon la plus banale qui soit : Un fait social avec l’ensemble des ingrédients nécessaires à son entretien médiatique qui ipso facto obtient un traitement digne d’un bon fait divers.

Concordance des temps. Les millionnaires sont en grève… c’est un peu aussi délirant que des étudiants en grève ou des grévistes sans papiers. Décidément le monde du ballon ne tourne plus très rond. Mais ça tombe également mal, à 3 jours d’une journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites.En sourdine, la comparaison s’impose entre ceux qui touchent plus en gagnant moins (voire jamais) et ceux qui perdent plus en travaillant plus. Il y a bien là une forme d’indécence qui s’accroît du fait de la juxtaposition de ces deux événements.

Ah, ces Français, toujours grévistes, et aux yeux du monde entier cette fois. Mais, vont-ils au moins perdre une journée de salaire ? Que nenni ! C’est bien là leur seul exploit au demeurant. Faire grève, hypnotiser un pays et ne rien perdre financièrement : quel tour de passe-passe ! Il faudrait les sanctionner,  les mettre au corner par exemple. Car hors jeu, le métier de footballeur consiste bien à s’entraîner n’est-ce pas ?

Catalyseuse d’un ressenti cette équipe ?  A l’image de notre société ? Pas si simple. D’abord qu’ont à voir ces 23 mecs avec la France? La plupart vivent à l’étranger, aucun ou presque ne paie ses impôts en France, nombre d’entre eux sont nés à l’étranger, tous vivent dans le monde hors sol du business outrancier depuis leur adolescence. Autant de raisons qui  justifieraient bien une déchéance de leur nationalité. Eric et Brice vous avez bien entendu ? Beaucoup d’entre eux en revanche ont grandi dans des quartiers périphériques de grandes agglomérations françaises. Les voilà classés dans la racaille ou dans celle des discriminés, c’est selon. Nous trouverions donc en eux un condensé de ce que produisent nos chères banlieues. Le discours du black blanc beur de 98 consistait à démontrer l’existence d’un french way of life qui passait par la station “intégration réussie”. Mais voilà, la réussite par le sport pour les cons a montré ses limites, qualitatives comme quantitatives. Le modèle s’effondre. Et c’est bien en cela, un modèle (ou un mythe) qui s’effondre que notre adorable club des 23 est révélateur. La charpente vermoulue finit par s’effondrer. On passe de Zidane à Anelka ou de Chirac à S. , c’est selon. L’exemplarité se mue en repoussoir. Non que des les deux prédécesseurs furent exemplaires, mais ils étaient encore capables de maintenir l’illusion, leurs disciples n’ont plus que leur nombril.

Et le “traître des vestiaires”, celui qu’il faut démasquer selon le capitaine de l’équipe, qui est-il ? Celui qui met sur le devant de la scène les problèmes de cohésion, l’irrespect envers le représentant de l’autorité, ou l’antagonisme entre les différentes communautés dans l’équipe. Voyons qui peut profiter de cela ? De ces thématiques ?  Qui s’interroge sur la “représentativité” de cette “somme d’individualités” incapable de former une équipe ?  Cette équipe noire des bleus ? Marine bien sûr. Le FN est le seul vainqueur français de cette compétition. Sans doute célèbrera-t-il l’élimination par un apéro saucisson pinard à Saint Denis, soit au stade de France, soit dans la basilique au milieu des tombeaux royaux.

A gauche, on hurle contre ces millionnaires à crampons, indignes de représenter leur pays. A l’extrême droite on met en cause leur appartenance à la nation et donc leur légitimité à porter le maillot. A droite, on pense de même mais on le dit en mode mineur. Privé du cirque (mais pas du grand guignol !), le peuple français n’a plus que le pain, mais la ration diminue.

24 juin 2010 : DIES IRAE ?

jeudi 3 juin 2010

Israël, une anomalie ?

La récente attaque par Tsahal d’une flottille humanitaire dans les eaux internationales, incite Palimpseste à s’interroger sur la nature de l’Etat d’Israël.

 

Israël est un pays des plus jeunes qui soit. Fondé en 1948, l’Etat hébreu s’est bâti, avec l’accord de la non moins jeune ONU. C’est toutefois par la guerre contre les Etats voisins que le pays s’est construit une identité. Les bases idéologiques d’Israël, à savoir le sionisme, mouvement laïc et nationaliste sont en revanche plus anciennes et remontent au XIX° siècle. Elles apparaissent en décalage avec l’esprit de l’après deuxième guerre mondiale. Le nationalisme était alors en repli dans le monde entier, car perçu comme l’origine des fureurs de la première moitié du XX° siècle. La mode de l’époque était l’impérialisme soviétique ou américain. Cet acceptation quasi unanime de la communauté internationale reposait sur deux éléments déterminants. Primo, la nécessité de permettre aux juifs, et d’abord ceux d’Europe, de garantir leur sécurité future : un Etat juif donc, défendu et gouverné par des juifs, soutenu par les puissances mondiales. Secundo, la réactivation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe cher au président Wilson qu’il avait tenté d’imposer à la sortie du premier conflit mondial et qui avait abouti au redécoupage désastreux de l’Europe suite au traité de Versailles.

Notons au passage qu’en agissant ainsi, on admettait que les juifs formaient un peuple, ce qui est un contresens historique : Tout au plus, les juifs éparpillés sur plusieurs continents formaient-ils une communauté religieuse. La fondation d’Israël est ainsi à contre courant de l’histoire. Paradoxe donc que d’avoir un Etat laïc et un ciment social reposant sur l’appartenance religieuse. Un Etat jeune et laïc donc mais qui trouve sa légitimité dans un recueil de textes religieux antiques que l’on appelle Ancien Testament. La réactivation de l’hébreu, langue du culte devenue vernaculaire,  participe de cette ambigüité : les Israéliens se comporteront en peuple pionnier sur la terre,qui appartenait, pensent-ils, à leurs ancêtres.  Modernité et archaïsme

Suite à la fondation de l’Etat, de nombreux juifs se lancent dans l’aventure des kibboutz, forme de collectivisation agricole librement consentie. Le mouvement laïc est très puissant, la gauche socialiste est alors plutôt dominante politiquement et culturellement écrasante. Cependant, très vite, l’URSS se détourne d’Israël et les Etats-Unis s’en rapprochent, jusqu’à devenir leur bailleur de fonds et leurs alliés inconditionnels.

Il se trouve qu’Israël est aussi une anomalie régionale : seul Etat démocratique du proche Orient, le pays se dote néanmoins de l’arme atomique grâce au soutien de la France. Pays non signataire des traités de non prolifération, non respectueux des résolutions de l’ONU, et en état de guerre quasi permanant, Israël n’a jamais été inquiété. Le caractère démocratique de l’Etat a longtemps servi de justification à la protection absolue que les Etats-Unis assuraient à la tribune de l’ONU comme ailleurs. Cependant, là aussi, il convient de s’interroger sur la nature de cette démocratie israélienne. D’abord, celle-ci ne fait que peu de cas des arabes israéliens : au quotidien un million et demi de personnes voient leurs droits bafoués et leur liberté amputée. Sous citoyens, soupçonnés de déloyauté envers Israël, ils sont relégués dans la vie politique et professionnelle. Ils rejoignent en cela une population officiellement juive, celle des juifs noirs (ou Beta Israël, ou juifs d’Ethiopie), venus de la corne de l’Afrique. Bien que pratiquant le culte judaïque, ces 120000 Israéliens sont mal perçus par la majorité juive blanche et confinés dans les couches sociales inférieures. Victimes du racisme des juifs blancs, ils se regroupent dans des quartiers que désertent les familles blanches. Selon un sondage de 2005, 43% des juifs israéliens blancs ne souhaitent pas que leurs enfants se marient avec un membre de cette communauté. S’instaure donc progressivement une société à plusieurs vitesses où les discriminations légales sont monnaie courante. Drôle de démocratie…

Autre entorse, le mode de scrutin, à la proportionnelle intégrale, suppose des alliances, parfois contre nature, qui profitent d’abord aux partis minoritaires, indispensables pour former une coalition majoritaire à la Knesset (parlement). Par le truchement d’un mode de scrutin défectueux, la majorité de la population se retrouve soumise aux injonctions de partis ultra-minoritaires et extrémistes.

Autre curiosité, la démographie israélienne juive : Les taux de natalité sont proches de ceux du monde occidental (2.7 enfants/ femme) alors que la fécondité des femmes arabes reste proche de 4. Le péril démographique est donc une phobie partagée par beaucoup de juifs israéliens : Ils craignent que la fécondité élevée des femmes palestiniennes et arabo israéliennes ait pour effet de rendre les juifs minoritaires en leur Etat. D’où une politique d’immigration massive à destination des juifs du monde entier. L’objectif étant de compenser le déficit comparatif de naissances. Cette politique a fait preuve d’une redoutable efficacité au moins jusqu’à 2006 : Depuis l’éclatement de l’URSS, plus d’un million d’immigrés russes ou des anciennes républiques soviétiques se sont installés en Israël. Cet apport massif a eu pour effet de déséquilibrer la structuration sociopolitique de la population israélienne. Séfarades d’Afrique du Nord et Ashkénazes d’Europe centrale ne sont plus si majoritaires. Ces juifs russes ont émigré dans un état d’esprit bien différent de celui de leurs prédécesseurs. Goût prononcé pour l’argent, désir fort de revanche sociale, Israël représentait pour eux un Eldorado davantage qu’une Terre Promise. Ils accèdent ainsi à la propriété et se comportent en territoire conquis. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient parmi les mieux représentés dans les fameuses colonies israéliennes. Peu religieux mais ultranationalistes, ils donnent leurs voix aux extrémistes de Lieberman, juif d’origine moldave et désormais ministre des affaires étrangères. Le centre de gravité politique israélien s’est donc largement déplacé à droite depuis leur arrivée.

Reste à s’interroger sur la légitimité d’Israël à mener une politique étrangère et frontalière contraire au droit international. Guerre préventive au Liban, assassinat par les agents du Mossad d’arabes influents dans la péninsule arabique, politique d’exécution ciblée en Palestine, blocus de Gaza, incursions armées en Cisjordanie, colonisation outrancière, et assaut sanglant contre des humanitaires. Au nom de quoi Israël pratique-t-il cette politique désastreuse pour la paix en toute impunité ? Première raison invoquée, Israël a des ennemis : groupes terroristes palestiniens, Syrie hostile et Iran faisant profession de foi d’antisémitisme. Cependant les uns comme les autres sont durement sanctionnés et étroitement surveillés par la communauté internationale. Reste alors le poids du passé, celui de l’holocauste. L’ extrême souffrance et l’entretien de la mémoire du génocide expliqueraient la persistance d’une angoisse commune aux juifs d’Israël quant à leur survie. Cette crainte d’une répétition de l’histoire justifie ainsi l’ensemble de mesures illégales mais vécues en Israël comme une légitime défense. Conjuguée à une repentance commune à tout l’Occident, cette crainte (très profonde mais très improbable aujourd’hui a pour effet de conférer à  la politique d’Israël un régime d’exception.

Or, la mémoire du génocide n’est plus si vivante. Les vieillards d’aujourd’hui étaient des gamins en 42. Pour la génération montante les traces de l’holocauste dans leur famille remontent à la troisième génération. Conscients d’être issus d’un peuple qui a infiniment souffert, ils n’ont en revanche rien eu à endurer de plus que les autres…et singulièrement eu égards à  leurs voisins Palestiniens. Le génocide ne peut plus leur servir de justification et l’agiter sans cesse devient, le temps passant, contre productif. Il n’y aurait rien de plus grave pour les Israéliens et d’incompris dans le reste du monde, que de continuer dans les années qui viennent à entretenir Israël dans son régime d’exceptionnalité.