Par quoi notre monde est-il gouverné ? Par le sexe et l’argent bien sûr, mais au delà ? N’y a-t-il pas quelque dieu moderne qui guide nos pas ? Qui nous fasse renoncer à la cassette d’Harpagon ou tourner le dos au charme d’Eros ?
De la révolution française à la fin du XX° siècle, l’espéranto mondial reposait sur les mots en “isme”. Chacun les comprenait, les interprétait, les contestait : Du patriotisme au nationalisme, du socialisme au communisme, de l’anarchisme au libéralisme, de l’impérialisme au colonialisme, l’isme était l’alpha et l’oméga de tout un chacun. A gauche comme à droite on ismait les noms propres sans vergogne : le marxisme et le léninisme monstres froids se muèrent en guévarisme ou encore en maoïsme jugés plus conformes à l’esprit de la deuxième moitié du XX° siècle. Puis, ce fut au tour du gaullisme, du thatchérisme pour les conservateurs.
C’est ainsi que de nuances en subtilités les ismes s’accouplèrent ou fusionnèrent parfois au mépris de leur identité. Le socialisme s’allia au libéralisme et ensemble ils enfantèrent le blairisme. Les ismes se dénaturèrent si vite qu’on renonça à les employer. Avec eux, on enterrait les idéologies porteuses de tous les maux de notre société. Mais par quoi les remplacer ?
Plus propres et apparemment neutres, la publicité et les formateurs de non-opinion aidant, les iques comblèrent le manque. Les iques firent leur grande apparition sensiblement au même moment que les ismes, mais restèrent en retrait jusque à la fin du siècle précédent. Ils étaient fils de la révolution industrielle alors que les ismes avaient été enfantés par la révolution française. Voilà le hic ! Les iques n’ont pas d’esprit tout juste un corps qui tend d’ailleurs à se dématérialiser. Les enfants de la technique envahirent tout : songeons à, la vieille aéronautique, où encore au grand oncle informatique et à sa cousine robotique… Il faut désormais compter avec le numérique, la génétique, la domotique, la fibre optique, que sais-je encore ! Qui sont-ils exactement, que véhiculent-ils ?
On serait tenté de répondre qu’ils ont pour vocation à transmettre des flux de vide. Mais ce serait aller trop vite en besogne. Quel nihilisme nous pousserait ainsi irrésistiblement vers le néant ? Les iques nous les consommons avidement, nous dépensons pour eux, nous produisons avec eux…ils sont nos compagnons quotidiens, des outils qui voilent nos solitudes respectives. Il s’agit ni plus ni moins que d’instruments paravents seuls capables de masquer le mode de vie contemporain fait de déplacements, de mobilité et de solitude. Ils sont le nouvel opium du peuple. Ils remplacent avec bonheur religions et projets collectifs. Harmonieusement, ils substituent l’outil à la pensée.
A l’instar des ismes, ils savent aussi, sinon mieux, faire rêver, promettre monts et merveille et qui sait l’immortalité : Ils envisagent la vie éternelle, l’échange instantané, le confort absolu quoique virtuel. Les iques sont conformes à l’esthétique : Designs et non salissants lorsqu’ils prennent la forme d’objet usuels, novateurs et pionniers dans leur forme scientifique, les iques sont conformes à notre monde livré à la techno-science. Nécessitant des concepteurs de haute volée et des utilisateurs serviles et stupéfaits, ils font vœu de propreté, d’ergonomie et de maniabilité.
C’est ainsi que les iques ont volé toute forme de transcendance à l’humanité. Ils offrent un présent perpétuel et à chacun l’illusion de communiquer avec l’autre. Les iques sont à l’évidence des moyens utilisés comme une fin. Pour contrer ces iques dévoreurs, je vous propose un isme radical pour dans cette lutte : l’archaïsme ! L’anti modernité a cette force unique d’être toujours à la mode. Je vais donc m’employer à graver ce texte sur une paroi rocheuse…à Lascaux ou ailleurs.
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