La scène se déroule au comptoir d’une brasserie parisienne plutôt chic. Les deux hommes se connaissent depuis peu et parlent pour la première fois de politique.
Mr Etilage : « Je pense que ce qu’il faudrait c’est une société dans laquelle les Français puissent être solidaires. Un pays dans lequel l’impôt par exemple redistribuerait les richesses. »
Mr Etisrevid : « Ah ! Vous me faîtes rire ! Parce que vous pensez encore que la France était peuplée de Français ? Mais enfin voyons, d’abord il y a des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux. »
Mr Etilage : « Que voulez-vous dire ? L’essentiel n’est-il pas qu’ils sont Français, qu’ils appartiennent tous à une même nation qui croit en une destinée collective. »
Mr Etisrevid : « Vous raisonnez avec des schémas trop simplistes peut-être valables pour le siècle passé. La réalité contemporaine est toute autre. Regardez, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes besoins tout comme les jeunes et les vieux. »
Mr Etilage : « Admettons mais cela empêche-t-il une solidarité plus grande entre eux ? »
Mr Etisrevid : « En théorie non. Mais le problème n’est pas là. Le drame aujourd’hui c’est que les femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes. Que les femmes membres de conseils d’administration des grandes entreprises sont très rares. En politique, malgré les quotas, qu’il faudrait renforcer, trop peu de femmes sont élues. »
Mr Etilage : « Oui, sans doute mais ce type d’inégalité ne concerne pas que les femmes... »
Mr Etisrevid : « Justement, comme je vous le disais il faut tenir compte de la diversité. Aujourd’hui en France on trouve des personnes issues de l’immigration, des personnes de couleur, des gays, des handicapés, des religions différentes. Ce qui importe c’est instaurer une égalité réelle entre ces catégories. Il faut cesser avec les discriminations ! »
Mr Etilage : « Vous dîtes cela et en même temps vous soutenez la politique sécuritaire et migratoire du gouvernement ! Vous voilà en franche contradiction ! »
Mr Etisrevid : « Vous plaisantez j’espère. Regardez, les églises de toutes les confessions n’ont jamais été si écoutées. Regardez le Crif, le Conseil du culte musulman, l’Eglise de France, le président est allé rencontrer le pape aussi. »
Mr Etilage : « Oui enfin sur l’affaire des Roms, on pourrait quand même dire que cette politique est raciste. Les journaux européens considèrent d’ailleurs que le président français est d’extrême droite. »
Mr Etisrevid : « C’est qu’ils n’ont rien compris. Citez-moi un gouvernement qui a autant œuvré en faveur de la diversité ? Pour l’accès aux grandes écoles par exemple. Pour accueillir comme les autres les handicapés dans les classes d’école, pour que les entreprises respectent leur quota de salariés ayant un handicap. Le gouvernement compte plusieurs ministres issus des minorités visibles. Vous voyez bien, nous mettons en œuvre l’égalité des chances quels que soient l’orientation sexuelle, le sexe, la couleur de peau, l’appartenance religieuse, l’origine géographique de la résidence. Nous avons même exploré la piste du CV anonyme pour éviter une discrimination à l’embauche sur la base du patronyme. Je ne devrais pas le dire ainsi mais certains préfets ont été promus sans doute en raison de leur confession religieuse... »
Mr Etilage : « En effet, mais cela marche-t-il ? »
Mr Etisrevid : « Nous avons encore des progrès à effectuer. Il faut du temps vous savez pour que les esprits s’adaptent. L’important c’est que la législation s’empare de ces thématiques et condamne effectivement les entorses. »
Mr Etilage : « Prenons un cas concret, disons que les noirs de France représentent 2 % de la population totale. Ce que vous trouvez de scandaleux, c’est qu’on ne retrouve pas 2 noirs si l’on prend la liste des 100 personnes les plus riches de France ? Ou que, parmi ces 100 personnes les plus riches, on ne trouvera pas 50 femmes mais certainement beaucoup moins ? »
Mr Etisrevid : « On ne pourra jamais arriver à une stricte égalité, statistique nous ne sommes pas favorables à « l’égalitarisme » mais oui c’est un peu cela que nous souhaitons réaliser. C’est une politique anti raciste, anti homophobe et anti xénophobe que nous menons. C’est un combat quotidien, une lutte de tous les instants. »
Mr Etilage : « Donc le président n’est pas raciste, ni homophobe ni xénophobe dont acte. Mais il y a encore quelque chose que je ne parviens pas à comprendre. Si les minorités étaient représentées à leur juste proportion dans les catégories aisées ou dans les postes de pouvoir, subsisterait-il une forme d’inégalité ? »
Mr Etisrevid : « Mon avis est que nous aurions là une société juste. »
Mr Etilage : « Même si certains devraient leur poste à leur identité plutôt qu’à leur mérite ? On vous met là parce que vous êtes une femme, plutôt que lui à diplôme équivalent ? »
Mr Etisrevid : « Il est vrai, qu’à la marge ce système produirait un peu d’injustice. Toutefois, comme nous pensons qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les races, le sexe, la religion, il n’y a pas de raison pour qu’une minorité soit lésée au final. »
Mr Etilage : « Donc parfois de l’injustice mais disparition des inégalités ? »
Mr Etisrevid : « C’est cela. »
Mr Etilage : « Pourtant, ne trouverait-on pas encore une majorité de pauvres et une minorité de riches ? »
Mr Etisrevid : « Vous me parlez d’inégalité sociale ? »
Mr Etilage : « Oui, ne faîtes pas l’innocent. Ce n’est pas parce que 2% des Français les plus riches sont noires que les inégalités disparaîtront ni même ne s’atténueront ! »
Mr Etisrevid : « Vous vous trompez de cible. Vous êtes un égalitariste, mais vous savez bien que cela est impossible. L’important c’est que la diversité de la France apparaisse au sommet de l’Etat comme aux postes de pouvoir économique. Que, je me répète, quelle que soit son origine on ait une chance équivalente d’arriver au sommet. »
Mr Etilage : « Non, l’important c’est que vous donnez ici une couche de vernis aux inégalités majeures de ce pays. Vous cherchez à donner l’illusion que ces inégalités sont justes parce qu’elles reproduisent fidèlement la diversité de la France. En agissant ainsi, vous masquez une autre réalité bien plus crues. La part des richesses détenue par les plus aisés ne cesse d’augmenter. Celle de la classe moyenne et des couches les plus modestes ne cesse de régresser. Les inégalités ne se sont jamais autant accrues que depuis que le « combat pour la diversité » a commencé. Comme c’est étrange ! En proclamant « que vous soyez arabe ou lesbienne, vous avez toutes vos chances » vous condamnez les racistes, les sexistes, les homophobes etc. Mais quand donc vous attaquerez vous aux riches quelle que soit d’ailleurs leur origine ? La diversité que vous brandissez si haut n’est qu’une muléta cachant la banderille qui transperce toute la société française, celle des inégalités de revenus et de patrimoine. Vous incitez le citoyen à mettre en avant ses différences, vous cherchez à atomiser le corps social, à briser les solidarités nationales et à favoriser le repli identitaire. La diversité voilà l’ennemi ! Je vous l’accorde volontiers, notre président n’est pas d’extrême droite, il n’a rien contre les noirs pourvu qu’ils soient riches, ni contre les homos mais à la même condition, et je pourrais continuer. Non, sa politique est simplement anti pauvres, ceux là même qui ne travaillent pas assez, ceux qui ont besoin de leur retraites pour leurs vieux jours ! Du coup sa politique est simplement, très traditionnellement, de droite, profondément conservatrice, habillée d’un discours paravent. On aurait tort de le stigmatiser notre président, il fait pareil que ses prédécesseurs. A vouloir le présenter comme hors norme on en oublie sa triste banalité... »
Mr Etisrevid : « Monsieur, votre combat n’est pas le nôtre, mais je vois que vous avez un problème avec l’argent. Voilà qui devrait faire l’affaire ! »
Il se lève et quitte la brasserie en jetant un billet de 20 euros pour les deux cafés consommés.
Idée originale tirée de l’excellent petit essai de Walter Benn Michaels « La diversité contre l’égalité » RAISON D’AGIR, 2009.