jeudi 12 mai 2011

Vieux pays cherche nouveaux repères

Un vieux pays est-il plus sage ? L’hexagone a perdu ses frontières et il en perd le nord. Cet article n’est qu’un modeste constat. Il cherche aussi à mettre en valeur le rôle essentiel des frontières dans le processus d’identification. Le sentiment d’appartenance commune s’écroule et nous laisse désemparés au sein du grand tout de la société globalisée uniformisée par le fric.

 

Ce qu’il convient d’appeler la culture est aux abonnés absents. Ce qui est censé nous rassembler dans les périodes de doute semble comme saisi de vertige. Les comiques n’ont jamais été aussi tragiques, ils nous font pleurer ou rire amèrement c’est selon. Ils ne se jouent plus des maux mais nous les balancent en pleine gueule. Voyez le théâtre et tâtez l’indifférence, voyez l’art contemporain et  mesurez le désintérêt, voyez la littérature et mesurez le nombril de son ego.  Quant à la “politique culturelle”, elle consiste désormais à placer les mêmes à la tête des différentes institutions relevant du ministère. L’exception culturelle, la défense de la langue française sont relégués au rang de débats poussiéreux et passéistes. Notre imaginaire est surpeuplé d’images et les contes mythes et légendes ne le structure plus.

Que reste-t-il au sport amateur aux équipes composées de régionaux ? Quelle identité pour les clubs de foot côtés en bourse, ou au Real de Madrid sans Espagnols sur le terrain ? Ce qui rassemble les foules est désormais déterritorialisé, hors sol. La récente polémique autour des “quotas dans le football” a pour origine le “problème de la binationalité”. Comment cela est-il devenu possible que des personnes nées ou éduquées depuis leur plus jeune enfance se comporte comme des mercenaires prêts à jouer pour une autre équipe nationale ? Parce que nous avons perdu nos frontière et par là le sens des limites.

Voyez les plaques minéralogiques et cherchez la provenance, le département, plus rien ou en minuscule comme pour mieux le nier. AInsi par la grâce de la bagnole sommes nous passés d’une échelle d’identification infra régionale à une échelle continentale. Par nos plaques d’immatriculation nous serions devenus des gens qui se pensent comme “européens”. Incroyable mais vrai. Le département lui même est appelé à disparaître.

Les communes doivent se fondre dans des communautés, échelon administratif doté de superpouvoirs et a-démocratique. A terme le processus d’identification à une commune s’estompe. Est-ce un mal ? Non, mais à condition qu’il puisse y avoir un autre moyen d’identification. Les grandes métropoles qui débordent dans des agglomérations aux contours toujours plus lointains, aux frontières plus incertaines. Où est la campagne, où s’arrête la ville ? Où sommes-nous ? Difficile de répondre.

Cherchez à identifier un pays, une région, un terroir plus rien. Entrez dans toutes les villes de France et vous aurez droit aux mêmes zones commerciales, aux mêmes enseignes. Pénétrez en centre ville et observez les rues piétonnes, l’architecture : Les mêmes de Nice à Lille de Brest à Strasbourg. De Paris à New York, de Lyon à Tallin. Gommons les différences. Ou feignons de le mettre en valeur : la tuile ou la couleur de la façade deviendront l’argument identitaire, cela donnera une “touche locale” une “coloration régionale”. Ah nous voilà bien avancés : Mais nos Leroy Merlin, nos Carrefours, nos Buffalo Gril, eux sont bien les mêmes.

Prenez les façades de mairies ou les photographies officielles des présidents. Combien de drapeaux ? toujours plus. Le Français bien sûr mais de plus en plus dissimulé, celui de l’UE en bonne place, et le régional voire l’infra régional. S’identifier à 3 drapeaux, avoir une tri-identité est-ce possible ? Non. Conséquence ? Aucune identification possible, ni la région, ni la France, ni l’Europe. Que reste-t-il ? Les racines ethnico-religieuses présumées.

Les aspérités doivent s’estomper dans les paysages et l’altérité des visages. Observez les pubs Benetton, parangon neomoderne du mélange et de la mixité, et voyez combien en dépit de la couleur de peau des modèles, chacun ressemble à son alter ego. Tous beaux, propres, minces, et HEUREUX. Y aurait-il un gêne de la mondialisation, une tendance  à l’homogénéisation sous l’impulsion du grand capital transnational ?

Voyez le champ de l’éducation, tout est dans le pluridisciplinaire, il faut croiser, connecter, mettre des liens, établir des réseaux, faire des ponts. La spécialité doit être bannie, les voies toujours moins spécifiques. C’est qu’il faut savoir faire plutôt que savoir. S’entendre avec la machine plutôt que se repérer dans l’espace et le temps. Savoir interpréter avant de pouvoir penser. Plus profondément, c’est le savoir qui est l’ennemi: Ce n’est pas affiché comme tel mais pour les possédants ( détenant le capital économique, social, culturel, imaginaire) le savoir est une menace car il permet de se prononcer, il est la condition d’une expression critique. Ne délivrons pas le savoir à chacun il pourrait mal en user, c’est à dire en user contre nous. Le savoir est donc moqué, ignoré, méprisé, ou travesti. Il doit céder la place au savoir-faire, à la compétence, bref à la technique. Qu’apprend on à nos enfants ? A croiser, à rebondir, à esquiver, à anticiper oui oui…c’est ce qu’il faut, de l’utile ! Mais à connaître ? Non merci. Pour savoir, il faut des cadres, des bornes, des frontières. Savoir faire c’est se débrouiller avec l’existant, se plier à lui, savoir s’adapter  et ce quel qu’il soit. Le savoir faire est une pédagogie de la renonciation. Une bombe silencieuse celle de l’indifférence et de la résignation.  Aujourd’hui il faut zapper, se déplacer, se jouer des frontières ? Et bien faisons !

La cellule familiale s’est décomposée et recomposée, les codes traditionnels ont disparu ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose… mais quoi pour les remplacer ? Les enfants hors mariage sont devenus la norme, les couple séparés sont en passe de le devenir. Ce qui n’était qu’exception est devenu la règle et quelle prise en compte ? La frontière entre la mort et la vie aussi est devenue confuse, les lois de bioéthique semblent un brin dépassées : à quelle semaine devient-on un être vivant ? Qu’est ce qu’ne personne maintenue artificiellement en vie, réduite à l’état végétatif. Où coule le Styx ? Cerbère a disparu et c’est l’humanité qui s’y perd.

Le champ politique est l’archétype de la tendance. Où réside la frontière entre la gauche et la droite, qui est populiste ou non, qui est souverainiste, protectionniste, libéral  ? La confusion règne partout, le désordre règne. La République ? La laïcité ? La démocratie ? La citoyenneté ? Des mots vidés de leurs sens, dont les contours s’obscurcissent, malmenés par les uns et les autres jusqu’à ne devenir qu’une ritournelle destinée à stimuler un résidu de conscience commune. Jaurès dans la bouche de Sarkozy puis dans celle de Le Pen, des républicains maurassiens qui pullulent. Allez-y les écrans de fumée,  brouillard et autres contrefeux.Bénies soient la triangulation et la quadrature du cercle !  C’est qu’il faut provoquer la confusion pour encourager l’ignorance. 

La frontière temporelle n’est pas la moindre à s’être brisée. Les révolutions de la communication ont achevé le temps de la contemplation. Au milieu des réseaux et des flux quel temps pour la poésie, l’épopée ? Quelle pause pour la mélancolie, la méditation ? L’instantanéité s’en est emparée.  Le “tout, tout de suite” n’est plus un vain mot, sur l’extrémité d’un écran tactile, le monde est à vos pieds. Vous en aviez rêvé, apple l’a fait. Vous voilà devenu maître et possesseur de la nature humaine. Tremblez avec les Japonais en direct assis sur vos chiottes, tuez Ben Laden depuis votre bagnole, béatifiez Jean Paul en chauffant votre casserole.

Le réel et le virtuel / le local et le mondial / la science et la technique / la vie et la mort/ la gauche et la droite/ l’individu et la famille / le régional et le national : Tous ces couples tendent à se défaire.

Et la transcendance ? Dieu s’est-il barré ? Partiellement seulement mais le dieu que d’aucuns cherchent aujourd’hui à rencontrer est le dieu des musulmans, des juifs ou des chrétiens. C’est un dieu de l’identitarisme religieux, il n’est plus Dieu pantocrator ni universel mais le dieu de “peuples” et il doit servir plus qu’on ne le sert. C’est un dieu arbitraire qui trace des frontières. C’est celui qui va conférer une identité à ses fidèles. La religion n’a pas disparu, loin s’en faut, mais elle n’a plus qu’un rôle sociologique. Réduite à n’être qu’un opium du peuple, à savoir le lien social des plus pauvres, des plus déracinés, des paumés. Dieu aussi se doit d’être utile. Croire ok mais qu’est ce que ça me rapporte ?

Une révolution citoyenne vite ! Une prise de conscience collective pour redonner du sens de la mesure, rebâtir nos frontières (géographiques mais pas seulement) et redéfinir ce que nous avons à faire ensemble. Rétablir un contrat.

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